Le 13 septembre dernier, la Cour de cassation a pris des décisions en matière de congés payés, ayant des conséquences capitales sur les entreprises. Ce faisant, elle s’est appuyée sur le droit européen afin d'apporter des précisions quant au point de départ du délai de prescription de l’action en rappel d’indemnité de congés payés, prendre en compte les arrêts de travail maladie, et AT/MP au-delà d'un an, pour l'acquisition des droits à congé payé, et accorder le report des congés acquis au salarié de retour d’un congé parental total.

La prescription triennale du droit à congés payés ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis les salariés en mesure de prendre leurs congés en temps utile

 

Les congés payés constituent un droit au repos mais aussi une obligation incontournable pour les salariés comme pour les employeurs.

 

Il convient donc de faire en sorte que les salariés puissent bénéficier de leur congé annuel, faute de quoi l’employeur engage sa responsabilité civile et encourt des sanctions pénales.

En effet, en cas de contestation, l’employeur devra justifier avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement en la matière, sous peine d'être condamné à verser aux salariés une indemnité compensatrice.

En pratique, il faut donc inviter le salarié (de préférence par écrit, pour se ménager un moyen de preuve) à prendre effectivement les congés qu’il a acquis, et donc régulièrement contrôler son compteur de congés .

 

De ce fait – c’est la solution choisie par la cour de cassation –, en cas de litige, la prescription triennale (applicable à l’indemnité de congés payés, de nature salariale) ne peut courir, à compter de la fin de la période au cours de laquelle les congés auraient pu être pris, que si l’employeur est en mesure de justifier avoir accompli les diligences visées ci-avant (= information faite aux salariés de l’obligation pour eux de prendre leurs congés).

 

A défaut d’être en mesure de justifier avoir pris les mesures utiles permettant aux salariés de prendre effectivement leurs congés, les droits des intéressés ne seront pas prescrits, quelle que soit la période à laquelle ils remontent, et les salariés pourront ainsi réclamer des rappels d’indemnités de congés payés sur plus de trois ans.

 

Il est donc essentiel d’avoir mis et de mettre par écrit le salarié en mesure de prendre ses congés ou, pour des contrats courts, d’être en mesure de démontrer que cela n’était pas possible*.

*Le code du travail prévoit que les salariés employés en contrat de travail à durée déterminée (CDD) bénéficient d’une indemnité de congés payés (c. trav. art. L. 1242-16 : « Le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée déterminée a droit à une indemnité compensatrice de congés payés au titre du travail effectivement accompli durant ce contrat, quelle qu'ait été sa durée, dès lors que le régime des congés applicable dans l'entreprise ne lui permet pas de les prendre effectivement »).

Les juges ont toutefois rappelé, pour le salarié en CDD, que cette indemnité n’est due qu’àtitre exceptionnel « dans l’hypothèse où le régime des congés payés dans l’entreprise ne lui permet pas la prise effective de ceux-ci ».

 

 

L’arrêt de travail pour maladie ou accident, professionnel ou non, ouvre droit à congés payés

Selon le code du travail, les périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle (AT/MP) sont assimilées à du travail effectif pour la détermination de la durée du congé, mais uniquement dans la « limite d’une durée ininterrompue d’un an ». Au-delà d’un an, le salarié arrêté pour AT/MP n’acquiert plus aucun droit à congés payés.

Quant aux périodes d’absence pour accident ou maladie d’origine non professionnelle, celles-ci ne sont pas visées parmi les absences assimilées énumérées par le code du travail. Sauf dispositions conventionnelles contraires, ces absences ne permettent donc pas d’acquérir des congés payés pendant la durée de l’arrêt de travail.

 

Toutefois, ces dispositions légales étant contraires au droit européen, la Cour de cassation est intervenue à diverses reprises auprès du législateur. En vain. Elle a donc décidé, le 13 septembre 2023, de mettre le droit françaisen conformité avec le droit européen, et a ainsi opéré un revirement de jurisprudence, applicable aux 5 semaines légales de congés payés ainsi qu’aux congés conventionnels : désormais, le salarié malade acquiert des congés payés pendant les périodes de suspension du contrat de travail :

-          pour accident ou maladie non professionnel(le) ;

-          et pour AT/MP durant toute la durée de l’arrêt, même au-delà d'un an.

 A noter : la solution n’a en revanche pas d’incidencesur le nombre de jours de repos ou RTT liés à un aménagement du temps de travail, car les textes sur les congés payés ne sont pas applicables en matière de durée du travail.

Par ailleurs – et cela ne change pas –, un salarié en congé parental d'éducation totaln'acquiert pas de congés payés pendant son congé parental (exclusion du congé parental total pour le calcul des droits à congés payés conforme au droit européen).

 

Ainsi, le revirement de jurisprudence conduit inévitablement à devoir tenir compte des absences pour maladie pour calculer le nombre de jours de congés payés acquis, qu’il s’agisse de la période d’acquisition en cours, mais aussi des périodes de référence antérieures, dans la limite de la prescription visée ci-avant, sauf impossibilité pour l’employeur de démontrer avoir mis le salarié en mesure de prendre ses congés en temps utile.

 

Reste à voir maintenant ce que les pouvoirs publics décideront… Limiteront-ils les conséquences de ce revirement de jurisprudence aux 4 premières semaines de congés payés garanties par la directive européenne ? Poseront-ils une limitation dans le temps du report des congés payés ?

 

L’avenir dira… Tant le ministère du travail que le législateur devraient prendre position prochainement, vraisemblablement au cours du 1er trimestre 2024.

De son côté, le Conseil Constitutionnel a également été saisi par la Cour de cassation. Il est ainsi chargé d'examiner si les dispositions du code du travail, qui privent un salarié de tout droit à l’acquisition de congés payés en cas arrêt de travail pour maladie non professionnelle, et au-delà d'un an en cas d'arrêt de travail AT/MP sont (ou pas) contraires au droit au repos et au principe d'égalité garantis par le bloc constitutionnel français. Le Conseil constitutionnel devrait en principe rendre sa décision vers la mi-février 2024.

 

En attendant, il paraît prudent de suivre le principe désormais posé par la Cour de cassation, et même de l’appliquer de manière rétroactive*.

*Mais jusqu’à quand remonter ? Certains commentateurs évoquent l'éventualité de devoir remonter jusqu'au 1er décembre 2009, date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (ce traité ayant donné force juridique contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne).

 

  

Report des congés acquis avant le congé parental total

 

Auparavant, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsqu’un salarié prenait un congé parental total (et non à temps partiel), l’intéressé perdait les congés payés qu’il avait acquis avant le congé parental s’il revenait après la fin de la période de prise des congés payés.

 

Désormais, la Cour de cassation, se mettant là encore en conformité avec le droit européen, considère que, lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année de référence en raison de l'exercice de son droit au congé parental total, les congés payés acquis à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail.

Ce revirement de jurisprudence porte sur le report des congés payés acquis avant le congé parental, et pas sur l'acquisition de congés payés pendant le congé parental, qui ne peut être exigée (voir ci-avant).

 

 

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